INTERVIEW

Encourager

le dialogue

entre experts

Dès janvier 2020, l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) a affronté la crise naissante du Covid-19 en recourant à l’un de ses plus grands atouts : son réseau mondial d’experts. Des groupes ad hoc ont été créés pour émettre des avis et conseils scientifiques afin de gérer l’urgence sanitaire.

experts OIE Encourager le dialogue entre experts
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Ann Cullinane
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Cheffe du Département de virologie du Centre équin irlandais
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Thomas Mettenleiter
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Président de l’Institut Friedrich Loeffler (FLI), Allemagne
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David Hayman
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Professeur d’écologie des maladies au sein du Laboratoire d’épidémiologie moléculaire et de santé publique (mEpiLab) de l’université Massey, Nouvelle-Zélande

Pourquoi l’OIE vous a-t-elle demandé d’intégrer un groupead hoc d’experts ?

A.C. En tant que cheffe du département de virologie du Centre équin irlandais, j’ai été confrontée ces dernières années à de nombreuses crises sanitaires dues à l’incursion de virus exotiques, tel que celui de l’artérite équine ou celui de l’anémie infectieuse des équidés. À chaque fois, nous avons dû nous adapter rapidement en augmentant nos capacités de test. C’est exactement ce qu’ont dû faire les laboratoires du monde entier pour répondre à la crise du Covid-19. Entre autres choses, le groupe d’experts de l’OIE a évalué les capacités des laboratoires vétérinaires au plan international et leur a donné des instructions pour réaliser des tests SARS-CoV-2 à la chaîne sur des échantillons prélevés chez l’humain.

T.M. On m’a demandé de prendre part à deux groupes ad hoc de l’OIE, pour étudier d’une part le Covid-19 à l’interface humain-animal et d’autre part ses conséquences sur la sûreté du commerce international d’animaux et de leurs produits. En tant que président du FLI, l’Institut fédéral allemand de recherche en santé animale, j’ai apporté mon expertise en matière de lutte contre les zoonoses et d’expérimentation animale, afin de contribuer à une bonne compréhension des risques de transmission entre humains et animaux.

D.H. Compte tenu de mon parcours dans le domaine de l’écologie des maladies infectieuses et plus précisément des maladies émergentes des chauves-souris, on a fait appel à moi pour participer à l’étude menée à l’initiative de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour rechercher les origines du SARS-CoV-2 en Chine. Notre laboratoire avait déjà des relations de travail avec le Centre de santé animale et d’épidémiologie animale de Chine (CAHEC) du ministère chinois de l’Agriculture, puisque nous sommes tous les deux reconnus comme un Centre collaborateur conjoint de l’OIE. Enfin, comme je suis basé en Nouvelle-Zélande, j’étais dans le bon fuseau horaire pour interagir au quotidien avec les experts en mission en Chine.

Plus de

laboratoires vétérinaires
à travers le monde se sont impliqués dans la réponse
au Covid-19

En quoi la collaboration entre experts a-t-elle permis de mieux répondre à la pandémie ?

A.C.Lors de notre première réunion, en mars, des experts d’Espagneet d’Italie, qui se trouvaient confrontés de plein fouet à la crise du Covid-19, ont fait part de leur expérience et ont expliqué que leurs Services vétérinaires avaient entrepris de tester avec succès, dans des délais très courts, des échantillons prélevés chez l’humain. Nous avons pu tirer des enseignements des nombreuses difficultés qu’ils ont rencontrées et nous avons préparé des documents d’orientation pour les laboratoires de santé animale du monde entier. Ces retours d’expérience de la ligne de front ont également aidé les représentants de l’OMS et de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) à comprendre les compétences des laboratoires vétérinaires, ce qui a fait naître un véritable esprit d’équipe entre ceux qui travaillent dans le domaine de la santé humaine et ceux qui travaillent dans celui de la santé animale, pour faire face à cette pandémie mondiale.

T.M. En travaillant avec des collègues de différents domaines de compétences, des vétérinaires, des épidémiologistes, ou encore des chercheurs qui travaillent dans l’expérimentation animale, nous avons pu rapidement acquérir une compréhension commune du rôle des animaux dans l’épidémiologie du SARS-CoV-2 dans ce contexte de pandémie humaine. Nos discussions ont débouché sur une documentation formelle comprenant des lignes directrices et des recommandations qui ont aidé les pays à s’adapter au plus vite à la situation.

D.H.Ce qui s’est révélé très important, c’est que les groupes ont pu se constituer rapidement et communiquer très ouvertement. Cela n’aurait pas été possible deux ou trois ans auparavant ; nous ne pouvions pas compter sur des outils de communication électroniques tels que Zoom ou Signal et il fallait se rendre sur place pour se réunir entre experts. Grâce à ces systèmes et à l’interprétation simultanée, j’ai pu, sans quitter la Nouvelle-Zélande, poser des questions à des praticiens hospitaliers, des scientifiques, et même des patients qui se trouvaient en Chine, et contribuer ainsi aux investigations sur les origines possibles du SARS-CoV-2.

« La mise en commun de l’expertise fait toute la différence » (David Hayman). En 2020, le dialogue entre experts de différents domaines a joué un rôle majeur dans la façon d’appréhender la pandémie de Covid-19.

Peut-on tirer parti de cette expérience pour de futures pandémies ?

D. H. La mise en commun de l’expertise fait toute la différence. Personne ne veut se retrouver pris au dépourvu à l’avenir. Il semble que le succès de la réponse de la Nouvelle-Zélande à la crise du Covid-19 repose en partie sur les réseaux informels qui existaient déjà entre laboratoires, services de santé humaine et de santé animale, et experts en général. Cela montre la nécessité d’obtenir davantage de financements sur le long terme pour nourrir les connaissances scientifiques, préserver les compétences et entretenir ces réseaux d’experts qui sont essentiels et qui peuvent passer rapidement à l’action en cas de nécessité.

A.C. Ce sont les gens qui travaillent semaine après semaine dans un domaine qui sont à même de répondre aux besoins qui surgissent en temps de crise. Nous devons développer un système dans lequel les gens seront formés à affronter les situations de tension et de crise, et dans lequel les équipements seront utilisés régulièrement.

T. M. Notre réponse face à cette crise a montré au monde l’importance de l’approche « Une seule santé » pour la santé mondiale. Il était important de continuer à signaler les cas de Covid-19 qui apparaissent chez les animaux – non pas parce que les animaux pourraient présenter un risque pour les humains, mais parce que nous avons besoin d’avoir une vision globale de la situation épidémiologique. Ce système de groupes ad hocn’est pas nouveau. Mais désormais, grâce aux technologies de la communication, les réunions peuvent s’organiser au pied levé. Non pas pour simplement échanger des points de vue, mais pour coordonner des actions rapidement et efficacement.